aveugle :
Ah, dieu ! je suis mort
mais non
Aveugle, alors
non plus
Sourd, peut-être
pas davantage
Mais quoi, alors ?
D’où vient que je ne voie plus rien dans ce décor
qui m’enchante ?
Quelle est cette rumeur où l’ardeur est absente ?
Pourquoi faut-il aussi que je ne bouge plus
ni ne rie, ni ne mange, ni ne chante à la nue ?
Je ne sais qui tu es, par là mon existence
est comme ce miroir où danse la buée
J’ai perdu le savoir et l’ivresse des transes
où ma sirène amie naguère me portait
Je ne goûte plus rien des saveurs ignorées
que sont le pain du ciel et le jus des rivages
Je suis mort, je me dis, puisque j’ai bien compris
que j’ai quitté ce monde et ses beautés sauvages
Ou alors, je suis fou… ou, devenu trop sage
ne suis-je que la bouche bée d’un coquillage
; dépourvu de vision, ce qui n’est guère pratique, mais très pragmatique.
- Tous soudain silencieux guettent les bruits devenus familiers / On attend la grande fête de la mort aveugle [Philippe Soupault].
brave* :
ce n'est qu'après la pluie
la douce pluie d'automne
que l'orange mollit
dans le vert qui détone
le vert qui déraisonne
souffrant de s'offrir pour une heure
ultime regain de fraîcheur
un brave baroud d'honneur
le fruit tombé à terre
voudrait y croire encore
les lambeaux de sa chair
fondent dans le décor
il boit un dernier vert
comme on souffle son âme
sur un amas de feuilles
rouge flamme
tout juste après la pluie
la douce pluie d'automne
le vert est dans le fruit
et la terre frissonne
; se dit du bon gars bas de plafond pour son coup de pouce, comme du mort au front tombé là lors d’un coup de main.
-…nous voilà donc enfin tous là, convenables, chantant en chœur comme de braves enfants qu’une grande personne invisible surveille pendant qu’ils font la ronde en se donnant une menotte triste et moite [Nathalie Sarraute].
clair :
L’aube vient, qui l’entend
étirer sous le vent
ses longues jambes claires ?
La nuit feinte l’instant
cabre vers l’occident
son voile bayadère
Au saut du lit la Terre
teinte dans la poussière
ses cheveux gris et blancs
Des animaux s’affairent
d’autres s’en vont en guerre
et marchent sur l’orient
C’est l’aube sur Paris
et sa jupe blanchit
à chacun de mes pas
C’est l’aube et je regagne
une aimable compagne
un pain rond sous le bras.
; qui a trempé à l’évidence dans un bain de lumière.
- C'est des beaux yeux derrière des voiles / C'est le grand jour tremblant de midi / C'est, par un ciel d'automne attiédi / le bleu fouillis des claires étoiles [Paul Verlaine].
* poLèmes précédemment parus sur pavupapri
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tiniak ©2009 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK