Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

°ruades° - Page 11

  • À ville hautaine, marée haute

    Si hautaine soit-elle
    avec ses gratte-ciels plantés sur la colline
    ou ses filles perchées sur leur gouaille mutine
    ou ces préciosités roulant des mécaniques cylindrées
    la ville est à genou
    quand elle touche au front la mer et ses humeurs

    Son port est tricoté comme un vieux débardeur
    aux mailles relâchées à l'arrondi du col
    Là-haut, sous la nuée, tous les fous en rigolent
    et ça grince à l'oreille
    quand il faut renoncer à griller au soleil
    les graisses citadines
    - tant le climat d'ici se dérobe à plaisir
      aux vains prétentions de pouvoir en prédire
      les caprices
      et passe allègrement de l'idylle au supplice

    Et ces vents qui disputent !
    Les pontons s'en défient comme les vieilles putes
    ou l'Albert
    qui perdit la moitié de son nom en mer

    La ville est à genou, mais ne sait pas plier
    Elle ignore les fous, méprise la marée,
      redore ses crépis de façade;
      aux fins d'agrémenter ses longues promenades
      savante un adéquat revêtement urbain
      (bourgeois n'en pestera pas moins contre le chien, sa crotte,
       et cette heure damnée où il a la bougeotte)
    Puis quand les éléments lui auront donné tort
    elle en appellera aux Deniers du Trésor
    qu'on rehausse les murs
    pour qu'y soit affiché "Pacte Contre Nature"

    Son port a fricoté avec le naturel
    - ce, dès les premiers temps de son tout premier nom
      quand les toits faisaient luire une rougeur de tuile
      devant la flaque d'huile
      sous un soleil de plomb;
      aussi quand s'écharpait le vent sur la presqu'île
      affolant des jupons sur les sables de l'anse
      et ruinant le commerce;
      cependant, sur le port où étaient mis en perce
      les fûts de bière ambrée ou de vins liquoreux
      on restait philosophe :
      aucune catastrophe, aucune canicule,
      n'entameraient jamais l'ardeur aventurière
      ni cet humble et profond respect des gens de mer
      pour "ce coquin de sort" qui fait danser les vagues;
    tandis que vers les terres
    la bourgoise recule
    depuis les ponts glissants, on se frappe la panse
    en pissant dans les algues
    un bon peu d'hydromel

    Et l'Albert !
    Cambré, dos à la mer
    entre les cuisses molles de la ville hautaine
    ne prend pas la mesure des vents de la plaine
    quand il brandit son doigt, depuis l'embarcadère
    et braille : " Oh ! Ville vile et crâne !
    La moitié amputée qu'il reste de mon nom te condamne !"
    Pis qu'un phare !  Et le phare lui fait
      cet air illuminé qui couronne les fous
      capables d'envolées, libres, si loin de tout

    Quand monte la marée, la ville est à genou.

    tiniak - Ruades © 2010 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK

    Lien permanent Catégories : °ruades° 0 commentaire
  • trappe heurt

    mind: the step

    L'homme va, fatigué de faire un pas de plus
      avec tout ce qui lui sort par les yeux qui lui pince les lèvres
      avec sa vieille peur qui attend sous le porche
      de lui rire au nez
      de lui souffler la torche
      de lui siffler le peu qu'il lui reste de rêve
    pas à pas, tout du long, la même rue qu'hier
    - la même que demain, allez !
    malgré ce temps de chien qui crachote à ses pieds
    L'homme va, fatigué d'avoir la terre entière
    venant à son encontre
    Il regarde sa montre
    Elle marque l'hiver
    C'est dans l'ordre des choses
    et ça colle à l'endroit
      humide, gris et froid
      morose
    où rien ne lui dit plus
    que l'aller, le retour
    la nuit qui vient, le jour
    et la fatigue d'être
    si lourdement vêtu, passant sous la fenêtre

    Un coup d'œil à la montre : l'hiver et cinq minutes
    L'homme va, fatigué d'être encore à la lutte
      avec tout ce qui pleure
      avec ce qui le traque
      avec sa vieille peur qui attend sa barbaque
      et tire sur la longe
      pour un dernier mensonge
    (qui pour la ramasser quand on jette l'éponge ?)
      avant de le plaquer contre les murs épais
      de son piège
    Obstinément, le front contre la neige fine
    qui s'amasse aux épaules de sa gabardine
    l'homme va, fatigué
    Un frisson le traverse et lui crispe le cou
    L'homme va, fatigué, en pliant le genou
      lentement
      vers sa trappe
      à son heure

    Vu au Louvre : Vieillard mourant

    tiniak - Ruades © 2010 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK 
    (vasque exposée au Louvre)

  • Autrement juste, Jazz !

     FREDO, artiste à suivre

    Au premier battement donné sur la peau claire
    précédant l'ouragan des rythmiques torrides
    la seconde en suspens entre Eden et Enfers
    tient la salle en arrêt au-dessus d'un grand vide
    et soudain, c'est le jazz !

    Une cacophonie saisit les molécules
    et touche à l'harmonie en fin de préambule
    quand tonne le second battement isolé
    rassemblant après lui, en ordres mesurés,
    les guitares, les vents, la basse et le clavier
    libérant les esprits, les corps et les suées
    cependant que le monde est tombé en syncope
    et se découvre un don de monstre nyctalope

    Tant la nuit n'est jamais si limpide et vivace
    qu'à l'aune d'une vie trop terne (ou dégueulasse !)
    révélée par le chant qui vibrait en sourdine
    dans son ventre gavé de pauvres vitamines
    et qui lâche les gaz !

    Révolte et anarchie semblent à la portée
    d'un regard abruti dont l'œil s'est embrasé
    d'un claquement de doigt, d'un cri sans retenue
    de la hanche qui ploie sous la paume inconnue
    soudain si familière
    que la rage et la peine avaient crue étrangère
    et tenaient en respect, à distance du corps
    mais que l'instant présent rapproche dans l'accord
    de l'ivresse et du sens

    Energie ! Energie ! Tu nous avais manqué !
    Mais te voici entière et tu nous fait danser !
    Et c'est fête à nouveau !
    N'importe quel fardeau est léger comme un souffle !
    Tout est comme l'extase...

    J-a-z-z ! Jazz ! Jazz !
    Un évident carnage anime ton tempo
    Savant apprentissage apprivoisant les maux
    Touche-moi davantage au fond de mon caveau
    Et laisse-moi en nage au bout d'un vibrato

    Autrement juste, Jazz !

    tiniak - Ruades © 2010 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK
    pour un
    Impromptu Littéraire - tiki#86.

    Illustration d'après une composition graphique de Frédô.

  • L'Escargot de la Gare Saint-Lazare

    LE BECHEC, dessinateur

     

    Le carnaval des pieds a repris son grand cirque
    Ça martèle à tout va sur les pavés humides
    ou les revêtements onéreux des grands-rues
    Ça déverse des gens, des jacquots et des grues
    et tout ça pour qu'existe
    le mépris souverain d'un monde réaliste
    pour les choses artistes :
      geste
      regard
      verbe
      ou l'arpège fiévreux de l'accordéoniste
      (qui m'encombre
       mais que j'apprécie mieux que les hymnes de l'Ombre)

    Voyez, ce soir encore en gare Saint-Lazare
    chargé comme un mulet déboulant de l'Isar
    je croisai une dame, allez, comme un poteau
    (un obstacle ? un boulet ? un genre d'escargot
    en guenilles ?)
    allant prendre mon train comme un troufion sa quille
    Elle était sur ma route et ça m'emmerdait presque
    quand je réalisai soudain tout le grotesque
    de la situation :
    Elle monte
    Je descends
    après moi, excitée, toute une talonnade
    me poussant à me joindre à cette bousculade
    dans le flot
    de ceux qui se comportent comme des salauds

    Je l'évite, c'est un fait
    mais sans plus d'attention pour ce qu'elle portait
    bien en chair
    ancré comme on marquait autrefois les sorcières
    de l'opprobre
    que jettent les idiots, hypocritement sobres
    sur l'étrange
    la surprise
    à force d' « attention ! » et de « qu'on se le dise...! »

    Bêtise ! et j'y cédai...
    en tirant après moi ma charge vers le quai
    abruti de vacarme

    Cependant une larme est née de ce conflit
    J'en savoure l'alarme et la dépose ici
    en confiance
    que de ces mots l'esprit touche votre conscience
    tandis que par les rues reprend le carnaval
    des semelles têtues ne songeant pas à mal.

     

    PESSIN, dessinateur

    SDF, l'asso

    tiniak - Ruades © 2010 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK

    Illustration d'en-tête extraite de Grands Reporters, dessin de Yann Le  BECHEC

    Illustration de bas de page : dessin de Pessin, publié sur Le(s) suiveur(s) de choses

    ci-contre : solidarité sdf, le site

  • Nô, ouais...

    Iwong Hô

    Si je ne rentrais pas ?
    Je connais cet endroit : n'est-ce pas mon antre ?
    J'y faisais les cent pas, la peur au ventre
      la vue cerclée de noir
      la langue inopérante
      et le corps évanoui
    J'y croisais ce que je pensais ne plus jamais savoir
    de mon ombre de chien jappant dans les couloirs
    après d'étranges rires
    aux visages aimés quand je savais en dire
    le nom, l'odeur
    le geste inégalable et l'intime chanson,
    le regard... le nom ?

    Je connais cet endroit
    Je me tiens sur le seuil et sens confusément
    que n'y suffiront pas tous les bras qui m'entourent
    J'en remets, alignés dans son arrière-cour
      les baquets pleins d'humeurs
      les linges étendus
      chaque pavé glissant
      la fatigue des pierres qui suinte
      par les aspérités moussues de cette enceinte
    Je voudrais être photographe à l'instant
    ou peintre et brosser ce moment fébrile
    d'un regard que prolonge un mouvement habile
    J'y vois quelque beauté, singulière, incongrue
    qui me parle d'ailleurs et ne m'appartient plus
    sans l'artiste projet

    Les vibrations de l'air
    composent des chansons qui me percent la chair
      le souffle des grands arbres, de loin en loin
      vers les palais de marbre, les ballots de foin
      l'oreille nostalgique ou des amants distraits
      le vague sentiment que tout peut survenir
      de tragique ou de gai
      en porte le mirage
    - à vrai dire, d'ici, ça gargouille plutôt
    comme mijote au four le dimanche un gigot
    avant de délivrer à travers la maison
    l'ample fumet aillé de sa fin de cuisson
    Quand j'y songe...
    l'endroit m'est familier comme un premier mensonge
    Alors quoi, le quitter ?
    Pour quelle vérité ?

    Si je rentrais quand même ?

    tiniak - Ruades © 2010 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK
    pour un
    Impromptu Littéraire - tiki#85.