Si je ne rentrais pas ?
Je connais cet endroit : n'est-ce pas mon antre ?
J'y faisais les cent pas, la peur au ventre
la vue cerclée de noir
la langue inopérante
et le corps évanoui
J'y croisais ce que je pensais ne plus jamais savoir
de mon ombre de chien jappant dans les couloirs
après d'étranges rires
aux visages aimés quand je savais en dire
le nom, l'odeur
le geste inégalable et l'intime chanson,
le regard... le nom ?
Je connais cet endroit
Je me tiens sur le seuil et sens confusément
que n'y suffiront pas tous les bras qui m'entourent
J'en remets, alignés dans son arrière-cour
les baquets pleins d'humeurs
les linges étendus
chaque pavé glissant
la fatigue des pierres qui suinte
par les aspérités moussues de cette enceinte
Je voudrais être photographe à l'instant
ou peintre et brosser ce moment fébrile
d'un regard que prolonge un mouvement habile
J'y vois quelque beauté, singulière, incongrue
qui me parle d'ailleurs et ne m'appartient plus
sans l'artiste projet
Les vibrations de l'air
composent des chansons qui me percent la chair
le souffle des grands arbres, de loin en loin
vers les palais de marbre, les ballots de foin
l'oreille nostalgique ou des amants distraits
le vague sentiment que tout peut survenir
de tragique ou de gai
en porte le mirage
- à vrai dire, d'ici, ça gargouille plutôt
comme mijote au four le dimanche un gigot
avant de délivrer à travers la maison
l'ample fumet aillé de sa fin de cuisson
Quand j'y songe...
l'endroit m'est familier comme un premier mensonge
Alors quoi, le quitter ?
Pour quelle vérité ?
Si je rentrais quand même ?
tiniak - Ruades © 2010 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK
pour un Impromptu Littéraire - tiki#85.