À son balcon de pierre à l'angle de Soufflot
la silhouette prise au jeu des luminaires
hachant tous les reflets vitreux et fragmentaires
elle a figé son port, une main dans le dos
à l'autre se consume un fin cigarillo
qu'elle porte à ses lèvres
en gestes paresseux ou engourdis de fièvre
- si je veux
Parisienne le temps d'y croire encore un peu
l'escale est à son terme et doucement l'entraîne
où le prochain matin aura l'aube - roumaine,
grecque, basque, italienne ? enfin, où le cheveu
n'insulte pas la peau et rehausse des yeux
la lumière châtaigne
roulant ses plis marins et rebelles au peigne
- si, j'y tiens !
Une ombre dans son dos tente de l'approcher
mais s'arrête aussitôt qu'elle penche la tête
et se fige à son tour - seconde silhouette
à la masse inutile et proche d'épouser
dans cette perspective un grand meuble en noyer
d'imposante stature
dont l'arête prolonge encore l'imposture
- quand j'y songe...
Et voici comme l'heure est brutale, soudain
un vis-à-vis s'éteint, en face, rue Le Goff;
était-ce du destin l'impérieuse apostrophe ?
du plafonnier rugit en un flot argentin
de vives cruautés sur le long cheveu brun
déchirant son épaule;
un mouvement de danse, elle a changé de rôle
- quand j'y pense !
Repoussant l'homme sombre, elle entame un tango
feinte, écarte et se sauve, élégante, féline
elle aura disparu avant que l'assassine
une invective rude avec un mot de trop;
l'instant d'après, trépigne à l'angle de Soufflot
hèle un taxi, s'engouffre...
laissant là-haut la honte, la morgue et le soufre
- ah, j'y compte !
Parisienne le temps d'être encore à mes yeux
plus que rêve impromptu, le monde indubitable
à l'angle de Soufflot, j'ai vu depuis ma table
la scène que mon sang dramaturge et curieux
rendit plus comestible
et par là me gavait d'autres reflets tangibles
- si, je veux !
tiniak © 2010 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK
Photographie : ©Gérard LAURENT, "Vinyle à la terrasse, rue Soufflot" (2008)