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  • Le Bel Aujourd'hui -1-

    huile au couteau de Joëlle CHEN

    La nuit qu'a fait le bel aujourd'hui
    chasse les autres
    elle s’étend sur ma vie
    elle se vautre
    longeant son cours
    bordant savamment ses contours
    elle fait des vagues

    J’y croise une raie pastenague
    et lui rends son large sourire
    elle est mouette
    (il faut pas le dire)

    J’ai laissé mon vers sur sa table
    j’y reviendrai
    je m’en servirai
    quand tout sera plus aimable

    Un requin cause, au loin
    discute avec le Petit Chien
    c’est discutable et j’en conviens
    mais ils refont le monde, alors

    Ecoutons-les un peu, encore

    Le requin dit:
    les astres ne me sont guère favorables
    Le Petit Chien, lui :
    à les entendre, c’est indéniable
    allons, il faut passer à table

    Sur Terre, une cloche sonne
    là-bas aussi, il y a maldonne

    C’est assez de pleurs
    C’est assez de heurts
    pour l’heure

    Voici que le bel aujourd’hui
    éblouissant
    étourdissant
    reprend ses droits sur ma vie
    il a suffi d’un mot de lui
    laissé sur ma table de nuit

    pour que le jour s’efface l’heure
    fadasse et terne et noirceur
    qui fait tache sur le manteau
    du ciel où meurt un brasero

    pour que le jour se fasse jour
    du jour qui fait la nuit sur tous les autres jours
    et porte ma vie dans la tienne
    sirène

    ce vers servi
    je t’en verse un autre ?

    dans tes yeux qui sont dans mes yeux :
    ma vie dans ta vie qui l'entoure
    et c'est le jour qui brille au coeur de la nuit profonde

    je n'ose encore lui ôter
    l'aube orange qu'il a portée
    pour me faire ce plaisir désuet
    d'arborer tes couleurs, ma reine

    dans un soupir, la nuit s'étire
    comme une femme plaine
    et dans ses yeux, ta brillance
    danse, souveraine

    alors je meurs un peu moins vite 

    et tandis que demain son lendemain hésite
    je déroge et me loge au pli de ces collines
    ta réponse adorable et ronde et véritable
    aux douceurs qui s'affinent sous les ciels velourés
    que le bel aujourd'hui se prend à dessiner
    sur son grand chevalet

    et je mange et je bois les secrètes saveurs
    qu'apporte la marée sur ma table de nuit
    et je cède mon vers à ce bel aujourd'hui

    tiniak ©2009 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK
    illustration : huile au couteau de Joëlle CHEN.

  • ...ni vos cm2 !

    Thieeerry La Fronde est un imbécile!!

    « Apeu tiprinceujé compri peua peu ainsitapetite vie mmé mécan mélan coli que. »

    Oh putain naaan !
    au nom de la loi des séries14h15, heure mortelle en CM2. La récré est encore loin. Le repas du midi fait une boule dans l’estomac qui veut pas descendre plus bas. Mon voisin pue la sueur - il sort son ballon de foot à chaque récré, et la récré du midi, elle est loooongue ! Et, souffrance, la séance de lecture à voix haute commence par Fostino, arrivé d’Espagne il y a deux ans du haut de ses douze-ans-bientôt-treize-et-soixante-kilos-pour-un-mètre-quarante.
    Pour mon voisin, Steve – qui n’a rien de Joss Randall ! l’est bien pratique Fostino. Assis devant nous, sa masse lui permet de copier méthodiquement et sans vergogne sur mes propres interrogations écrites. Souffrance accrue.

    « Tuahulair très… très… surprida boré puitua rideu toim… rideu… toi-même. »

    Et merde !

    Il n’y a pas que la récré qui est encore loin. Les vacances de février sont tout juste derrière nous, alors celles de printemps… un rêve de chocolat blanc, de peinture sur coquille d’œuf et de chasse dans les terrasses de la maison de Bandol. Un rêve qui a bien du mal à se frayer un chemin dans le brouillard normand, brouillard givrant qui s’insinue en frissonnant sous les vêtements et vous poursuit la vie jusqu’au bain du soir.
    Les radiateurs aussi sont bien loin. On repeint nos classes. Du coup, nous sommes installés en transit dans un baraquement. L’infâme baraquement des CPPN, ces nuls, ces pirates de la récré qui ont eu droit à un séjour en classe de neige, eux, les salauds.

    Février, c’est le mois de ma moitié.
    J’ai ma demie passée. La demie de mes neuf ans. Je suis le plus petit de la classe, en taille, en âge et en attitude. Bon élève binoclard, fils de parents divorcés, fils de parents enseignants, métissé d’antillais qu’on dirait maghrébin, j’ai le profil bas chevillé au cartable. Alors je traîne pas trop dans la zone investie par les garçons, les vrais, à la récré.

    « Maissur tassipeu titeu pla nèteu, ilteu su… il teu suffi zèdeu tiréta chaizeu dede quelques… pas »

    Mais il y a les filles du préau !
    Et ça, les filles du préau, c’est du soleil sous la cagoule.
    J’aime leurs jeux : la corde, le foulard, les jeux de mains… Ah, les jeux de mains et leurs comptines ! Je les défie à l’élastique. Je suis très bon à ce jeu. Même, je les laisse pas gagner à tous les coups. Juste quand il y a Mon Isabelle, avec ses cheveux d’automne flamboyant, ses yeux vert d’eau, ses joues picorées de rousseurs sous les lunettes à écailles marrons et ses jupes quoiqu’il arrive – sur d’épais collants de saison, roses évidemment. Mon Isabelle, je la laisse toujours gagner.
    On habite la même résidence, mais elle, deux blocs plus loin.
    On rentre ensemble. On parle de tout. Et ça commence toujours, au petit matin, par le dernier épisode de Quentin Durward. C’est pour ça que c’est Mon Isabelle, alors que Myriam, elle s’appelle. Moi, je suis Son Bon Quentin. Je la défends, des fois, sur le chemin de l’école, quand des brigands surgissent d’une haie, quand des vilains assaillent notre cage-à-poule carrée. J’en oublierais presque mes petits frères et sœurs, et la sienne de sœur, s’ils n'étaient pas bien commodes pour prétexter de longues après-midi de samedi partagées, placées sous la responsabilité des deux aînés que nous sommes, pour le plus grand bonheur (économique ?) de nos parents respectifs.

    Le mieux, à cette époque, c’est les couchers de soleils à portée de regard.
    Ils tombent juste à point avant de rentrer pour le repas du soir. Et ça nous fait des pauses mélancoliques au sommet de notre cage-à-poule-donjon.

    Et merde, à moi déjà ! Putain merde, on en est où ? Vite ! Ma mémoire auditive… Vite la ligne… Oui oui, m’sieu, voilà :

    « - Tu sais… quand on est tellement triste, on aime les couchers de soleil… »

    T-puni!

    tiniak ©2009 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK

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    paru chez les "Impromptus littéraires" - tiki#21
    où je vous recommande aussi les textes de...

    Basdecasse et L'Arpenteur d'étoile ;
    Toncrate ; SaraLine et Jimi Mumei.