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un jour

  • big bang ballade

    Puisque la nuit, traînant les pieds, tardait à regagner de son aube mollette le confort attendu, je décidai de m'occuper de ta coiffure.
    Dans la cuisine, je tirai par son cou flexible le robinet niché dans le plafond moussu. Je remplis un broc d'eau fraîche et revins vers le fauteuil à oreilles où tu t'affairais à élaborer des stratagèmes dans une autre dimension - peut-être en ramènerais-tu quelque chose de beau, comme hier.

    Je défis, de ta nuque, le nœud maintenant le fichu qui le serait bientôt complètement - tu m'avais dit le tenir de ta mère, ne t'en séparais guère qu’avec un regret crispé sur les tempes et l’invariable grognement qui dit que tu te fâches. L'herbe rouge de tes cheveux ainsi libérée, je l'arrosai d'un filet d'eau; jaunie par le revêtement intérieur de la plomberie, cette eau dansant, ça faisait de l'or liquide dans l'air contrit. Tu te réveilleras rousse, comme promis.

    J'entendis les gros sabots de la nuit annoncer son retour dans les ordres. Je soufflai la bougie. Il y eut un suspens de l'obscurité dans une autre lumière, inconnue de mes yeux, qui s'en émerveillaient. J'aurais voulu te réveiller, mais j'avais peur de t'arracher à quelque découverte fondamentale. Aussi, je m'assis dans la main du bras du canapé en gardant cet instant contre moi, bien serré, pour te l'offrir à ton réveil.

    D’une main engourdie, j’inscrivis sur la cuisse de mon pantalongraphe des mots que je pense avoir lu sans avoir jamais pu, même su ni voulu, (pourquoi ?) en oublier jusqu’à la parenthèse : Un jour. Il y aura autre chose que le jour. Une chose plus franche, que l'on appellera le Jodel (Boris VIAN).

     

    C’était pas l’ jour. C’était encore sa vibrante promesse.
    Il montait, de loin dans la rue, des rans et de pas de tambours qui annonçaient un événement singulier. Lequel ? Ça, je n’en avais pas idée. L’attention portée à la mise en scène du petit-déjeuner, je distinguais vaguement, cet état de fête.
    Une mouche, rescapée de l’hiver, résistant au possible et que je ne parvenais pas à convaincre d’aller voir ailleurs si les oreilles étaient moins sensibles, me piqua. J’entrai en inspiration rigoureuse, avec quelques paronomases au bord de l’asyndète et entrepris de ravager le salon, de belle façon, afin que ta surprise soit complète – comme tu l’exigeais, chaque jour, avec douceur mais fermeté; quand tu te réveillerais, ta rousse blondeur bien coiffée de la veille.
     
    Et tu te réveillas.
    Il faut dire que dans la rue, en bas, ça tapait fort. Aux rans se mêlaient des ahans. Des sifflets suraigus se le faisaient couper par de secs claquements de fouets. Le bitume souffrait mal qu’on lui raclât le dos avec tant d’insistance (mais avec je ne savais quoi… pas encore). Et puis, il y avait la masse laborieuse, pas fâchée de l’animation, qui s’émoustillait le quotidien en y allant de ses clameurs, harangues, interjections futiles, enfin tout ce qui lui permettait de s’époumoner proprement, dès matin.
     
    Tu sortis de la chambre, sans relever le joyeux carnage du salon et vins droit à la cuisine t’asseoir devant ton bol de cornichons. C’était pas l’ jour… J’étais, toutefois, pour te le souhaiter bon, quand tu lâchas, grognon mais sans fureur : « c’est quoi, c’ bordel ? »
    Tu te levas, te dirigeas vers les fenêtres donnant sur la rue en traînant les pieds à travers le salon, d’où tu me lanças un gentil « Oh, c’est gentil, ça ! Merci mon chéri, tu as fait un beau carnage ». Gentil ? Bon, va pour…
    Entre les rideaux écartés, tu t’exclamas par-dessus ton épaule gentiment découverte :
    « - Ah, bah oui ! Viens voir !
    - Que se passe-t-il ?
    - Bah, viens je te dis. Viens voir ! »
    J’obtempérai, jetant au passage un coup d’œil au calendrier qui ne me renseigna guère, à première vue.
     
    Parvenu à ta hauteur, dans l’encadrement de la fenêtre sans tain, je vis un cortège de jeunes femmes, habillées à la diable ou à la franche rigolade, ou en nuisette, ou en tout ce qui avait pu leur passer par la tête. Elles traînaient, plutôt tiraient comme des bêtes de somme, le mobilier volumineux de leur literie, défaite, parfois excessivement, qu’elles avaient encombrées d’attributs singuliers… de la peluche au godemiché, pour dire.
    Toi, tu applaudissais. Une gamine devant un nouveau jeu ! Tu répétais en rythme – et ça swinguait pas mal : « C’est les Catherinet-teu ! Les Catherinett’s ! C’est les Catherinet-teu ! »
     
    J’observai alors que toutes ces jeunes femmes étaient très variablement coiffées de chapeaux, plus fantasques les uns que les autres. Peu enclin aux dégradations volontaires, je poussai un soupir. Je t’aurais bien servi quelque charitable discours, mais, je le sentais depuis quelque temps : c’était pas l’jour… Le Jodel attendrait un peu. Un bon peu, même… Et puis, tu te tournas vers moi et dis : « c’est heureux comme on s’aime ».

     tiniak ©2013 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK
    1ère partie écrite pour un Impromptu Littéraire - tiki#184
    2nde partie écrite pour un Impromptu Littéraire - tiki#199

  • l'autre jour

    ©Gaëna da Sylva, photographe

    Deux doigts sur les veines de son marbre
    prends le pouls de l'aube
    nappe sous les arbres

    Au rire incongru logé dans l'air
    mesure l'augure
    d'un souffle de vair

    Accomplie du jour et de la nuit
    la partie de chasse
    efface l'ennui

    Plus d'une heure à moudre dans les murs
    du pain quotidien
    la farine sûre

    S'ouvrent alors des mains en miroir
    où décline Aujourd'hui vers le soir

    Par un feu plus grave
    et sanguinolent
    la pierre de Caen pointe l'étrave

    Glissant par la Manche
    un bras désireux
    le fleuve noueux sous moi s'épanche

    Ranimées ficelles
    de mon inventaire
    quand je jette à la mer mes dentelles

    tiniak ©2012 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK
    pour un Impromptu Littéraire, motivé par GBalland - tiki#159

    Illustration : Gaëna da Sylva, photographe.