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giraudoux

  • Le compas

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    Six fois soixante et douze en voici cinq cent quatre
    et non pas les sept cents que nous disaient les Pâtres ;
    ainsi, en comparant l'état du ciel d'alors
    à celui du moment, Voltaire fit l'effort
    de la démonstration par le biais d'une lettre
    qu'en matière de temps, mieux vaut dire "peut-être",
    "c'est possible après tout", "en ces temps reculés..."
    ou bien, avec prudence : "je n'étais pas né" ;
    car il est difficile d'ouvrir un tiroir
    de la commode empire où nous rangeons l'Histoire
    sans se voir aussitôt le museau agressé
    cherchant une charlotte et trouvant, tout crotté
    un manteau de Poilu exhalant la charogne !
    Notre Histoire n'est pas de ces poupées gigognes
    qu'On emboîte à ravir, pédagogiquement,
    par souci d'insuffler à nos sages enfants
    le méritoire goût des généalogies ;
    l'Histoire est un compas dont l'axe se déplace
    et trace des rosaces comme un malappris !

    Ceci posé : galères ! ...drakkars ? ...galions ?
    passons-nous de compas pour la navigation
    interrogeons nos glandes !
    et tâchons qu'au récit le souvenir commande...

    J'étions pas né, disais-je, on parlait dans mon dos.
    Il tombait comme neige une averse de mots
    à n'y piquer que dalle !
    - notez qu'à ce moment, je ne m'en trouvai mal
    ni même chagriné, puisque je n'étions guère
    qu'un projet de rupture au sein rond de ma mère
    mais passons ce détail...
    L'On rappelait, disé-je, une antique pagaille
    avec des dieux marrants et d'autres beaucoup moins
    - il en est de marrants, j'insiste sur ce point ;
    demandez à Anouilh...
    Ça buvait force vin, ça se grattait les fouilles,
    contestant au passage un certain Champollion
    dont j'appris bien plus tard à épeler le nom,
    le tout faisant très Bouffe
    - n'étaient, comme couru, les poux parmi ces touffes.
    Pour tromper son ennui, d'aucuns s'en cherchaient d'autres
    dans la barbe fleurie, le plastron qui se vautre
    ou le joli minois ;
    ça se les arrachait avec les dents, les doigts,
    jusqu'à cet importun, frais promu demi-dieu,
    qui en trouva au cul de l'hôtesse des lieux
    - ça, il fallait pas faire !
    Son époux protesta de toute sa colère
    et tempêta si fort que, cul par-dessus tête,
    précipita tout un, convives, fat, belettes
    allez, hop ! sur le monde !
    La pagaille au banquet vint à son paroxysme
    et l'On débarrassa bien vite tout le ciel
    en n'y laissant traîner qu'une nappe de miel
    dans un bon peu de lait.

    Sur Terre, c'était cuit, je vous dis, pour la paix
    des méninges, des cœurs et de tous les pays
    qu'On inventa dans l'heure (un peu avant midi)
    pour se faire la guerre.
    Elle fut déclarée - par qui ? allez savoir !
    mais dure encore au point qu'On dût créer l'Histoire
    et la Bibliothèque.
    Ça partait d'un bon fonds... c'eût même été pratique,
    mais c'était sans compter sur l'âme bordélique
    et tous les fainéants qu'On chargea de la tâche
    - et voyez : la bombe H !...
    le massacre des peuples... les autodafés...
    la confusion des genres, le zèle appliqué
    d'obscures mécaniques délocalisées
    ou concentrationnaires...
    ça ne servit de rien ! Ni l'homme ni la terre
    ne supportaient l'idée d'être mis dans des cases.
    L'On fut même tenté d'en faire table rase
    et l'On se ravisa ;
    le passé, conservé, présente quelques charmes :
    des Baigneuses, des tons et le jambon de Parme,
    pour n'évoquer que ceux que j'aurais en partage
    quand j'attendrais mon âge,
    quoiqu'on n'en fût pas là - certes, c'est pour bientôt,
    mais il est incomplet, l'inventaire des mots
    que l'On dit dans mon dos jusqu'avant ma naissance
    dont je nourris ma stance.

    Qu'un coup de dé jamais ne finisse au placard
    vaut que l'On interroge et les fruits du hasard
    et les présupposés que l'On prête au destin...
    L'Histoire... son festin.

    Y eut-il un jour autre chose que le jour ?
    La Guerre de Troie fut-elle un long chant d'amour ?
    Et madame Hitler connut-elle monsieur K. ?
    L'Histoire ne le dit pas.
    C'est ici que j'apparus et naquis à la conscience,
    dans le conflit cru du savoir et de mes sens.
    La radio diffuse un curieux communiqué :
    « La bombe, c'est du passé ».
    J'allais pour ranger mon compas dans mon cartable
    et me demandai quoi tenir pour véritable.
    Quelque temps après, je ne pus au tableau noir
    dire ma leçon d'histoire.

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    tiniak ©2010 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK.

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  • Cassandre à l'antienne

    Quand j'aurai assez bu - mon vers ! de tous vos pleurs
    me servirez vos cœurs et votre âme à l'envers
    et serai toute ardeur à clamer vos mystères
    à votre sourde oreille où je sonnerai l'heure

    Cassandre a l'alarme fatale

    Vous me jugerez sot, inconvenant, sévère
    saligaud bien ingrat, fou peut-être - ça va...
    mais je ne dirai rien que ne sache déjà
    votre bouche embourbée de pelletées de taire

    (Cassandre avait des couilles ?)

    Ne parlons plus de vous ; disons l'Autre (absolu)
    et vous applaudissez à la fin du spectacle
    partageant le regret des antiques oracles
    avec votre voisin qui n'a rien retenu

    que ceci (ce passage un peu cru, j'en conviens
    cavalier pour le moins puisque ça parlait cul
    et disait, ce me semble, à peu près ce qui suit) :

    Cassandre a dit Ceci

    ...Ah bonjour, entrez donc !
    faites, je vous en prie
    ...le ventre sur la table, Ninon
    ...est-ce là que tu trembles ?
    et oh et ah et han !
    et voyons maintenant ce que dit ce cartable
    ...ça fait bien des devoirs
    s'en remettre à deux mains serait pas raisonnable
    ...bonsoir...

    Mais c'est la vie encore et de ce qui vous fâche
    c'est de mâcher la mort dans un brin de genêt
    puis d'en dévorer l'or sans plus le contempler
    que vos cieux dont j'adore agacer les dieux lâches

    (Cassandre est anarchiste ?)

    Aussi quand je m'invite avec mon gris sourire
    à vos farces de fête aux simiesques grimaces
    et décolle des miettes prises dans la glace
    le reflet sirupeux de vos masques empires

    voici que le brouillard ceignant vos majestés
    en déserte le socle et révèle les douves
    et ce qui pourrit là des secrets que l'on couve
    exhale ses humeurs jusque sous votre nez

    Cassandre a du flaire

    Et, oui ! ça sent la merde et la mort des soleils
    tout le triste abandon des appels en souffrances
    toute la contrition d'intimes appétences
    et le saint sacrifice des simples merveilles

    voici que vos créneaux chopent la chair de poule
    et soudain mous du cou les donjons qui s'affaissent
    que la herse édentée ne tient plus ses promesses
    et tous les chevaliers qui rejoignent la foule

    Cassandre a ses humeurs

    tandis qu'au rempart sud montent des oubliettes
    la très insupportable au regard indigence
    et ses multiples voies entrant en résonance
    pour former le fracas du seul Cri qui s'entête

    à battre le rappel de tous les pieux serments
    à couper le sifflet de tous les trains ignobles
    à rendre la douleur des forêts, des vignobles
    au passage enroué de tous les quatre vents

    Cassandre a fini sa colère

    Alors je ne tiens plus debout dans votre grâce
    et l'aura de mon verbe est un casque de feu
    qui vous donne la fièvre et vous ronge les yeux ;
    vous dites : "À genoux ! À la niche ! À ta place !"

    Cassandre a bien du chien

    C'est bon ! C'est bon ! les chiens me sont plus fraternels...
    mais je n'ai pas fini, car vous pleurez encore !
    Pleurez-vous des amis les entrains, les transports ?
    Pleurez-vous de vos nuits les vides essentiels ?

    J'en ai cueilli des pleurs au chevet des regards
    qui vous sortaient de sous l'arche du frontispice
    qui vous faisaient la peau des joues comme un calice
    et mêlaient à leur sel votre unique nectar

    Cassandre a le dégoût simple

    ...Et non, vous ne pleurez que votre solitude
    - on en fait des brassées qui couronnent les tombes,
    mais n'apaisent jamais la gorge des colombes,
    de ces pleurs ignorant toute sollicitude

    Si j'en buvais le quart, en pisserais des fûts !
    Adressez-vous ailleurs (d'ailleurs vous savez où)
    Ce n'est pas mon affaire...
    Oui, j'ai quelque exigence, alors, en la matière

    Cassandre a des exigences en la matière

    Peu m'importent du fond le goût ni la couleur
    l'enveloppe... le rang... Je bois des pleurs limpides
    la goutte qui vous tient en suspens dans le vide
    aussi brutal et nu que l'est votre malheur

    Et c'est quand vous chutez que je tire la langue
    à qui je dois le don de muer votre peine
    en poème, en chanson, en longue cantilène
    et même, à l'occasion, en pamphlets ou harangues

    Cassandre a du savoir-vivre

    car je ferai grand cas - sans draper à outrance
    de votre dénuement l'aube apocalyptique,
    de votre dénuement toute la sémantique
    en repeignant vos ciels d'une neuve espérance

    avec les mots de paix, compassion, connaissance
    qui sont l'oraison pure et vive de mourir
    calice.jpgpour accorder à l'autre le soin de les dire
    et bâtir à nouveau l'amour de l'existence

     

    tiniak © 2009 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK