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prose - Page 2

  • diseur

    RÉVEIL MALIN

    Chaque matin, vers dix heures, je me levais... dans la cathédrale, oui... à l'exception des dimanches, bien sûr. Tu sais comme j'ai horreur des dimanches, bien sûr.
    s341.JPGJe quittais ma chaire sculptée en en faisant à peine craquer le bois dur. Dix heures, c'est la bonne heure. Il est très rare d'y voir grand monde, durant la semaine. Il m'est donc très facile de passer inaperçu. De grimper dans l'ombre des piliers, jusqu'au flanc nord de la croisée du transept et d'y attendre là, le premier pigeon imprudent.
    Les gargouilles le savent, à leurs dépens : sculpté, gravé, on ne se méfie jamais assez du serpent.

    impromptu littéraire - tiki#70
    sur un incipit extrait du roman de Christian OSTER "Dans la cathédrale"

    tiniak © 2010 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK

  • sauve tag

    plic? ploc ?

    A l'heure où la nuit daigne enfin perdre un rien de sa superbe, je me fais ce petit plaisir d'arpenter l'avenue déserte encore, avec pour seule compagnie la paix de l'arbre qui s'endort et quelques vers de trop embrumant mon esprit. C'est ainsi que j'allais, mains croisées dans le dos, courbant l'échine sous la bruine, à la recherche d'une strophe et d'une baguette de pain frais.

    Le vent charriait des papiers gras qui m'importunaient l'allure, en se collant de ci de là, sous le talon de mes chaussures.

    Comme je me défaisais de l'un d'eux, un étrange phénomène attira mon attention. Sur le trottoir qui bordait l'immeuble des Impromptus Littéraires (club où j'ai mes habitudes), je remarquai du coin de l'oeil une rigole singulière qui s'échappait de la gouttière.

    Dans les reflets de ce flux au débit étonnament vif - et non, je n'avais pas la berlue!- je reconnus des lettres, des syllabes, des mots!

    En arrêt, interdit, je m'accroupis d'abord pour m'assurer de la réalité du fait. J'en recueillis quelques bribes dans la paume de mes mains portées à l'embouchure et me mis à les lire. Ce que je découvris m'arracha un sourire, puis, petit à petit força mon admiration. Un véritable trésor d'écriture coulait entre mes doigts : des mots, des mots! des mots brisés, des bouts de strophes, des onotmatopées fantoches et des paragraphes atrophiés, des billevesées, des aphorismes, des coquecigruités fantasques...

    D'un mouvement instinctif, je reculai jusqu'au bord de la chaussée pour porter mon regard vers le sommet de l'immeuble bourgeois. Une autre surprise m'attendait là-haut ; elle avait la forme d'un nuage! Un petit nuage, noir et solitaire sous le ciel, pleuvait sur la toiture.

    Je fis mouvement sur ma gauche, de quelques mètres, cherchant à relever quelque trucage ou illusion ; le nuage, d'un mouvement en miroir, fit de même. Autour de moi personne, sur l'avenue personne, à prendre à témoin personne, que l'ombre des arbres engourdis, la bruine et le ciel gris.

    Autant pour en garder la trace que pour donner à mes yeux davantage de conséquence à cette bizarrerie, j'ouvris le petit calepin qui loge invariablement dans la poche intérieure de mon vêtement de saison - pratique que j'observe avec rigueur depuis qu'au club Ms. Tiss m'en avait fait la vive recommandation. Je m'apprêtais à y consigner l'expérience et noter quelques-uns des bons mots qui m'avaient frappés. Je ne tardai pas à me retrouver couvert dans l'ombre du nuage, bientôt dégoulinant sous sa douche volubile. Comme attiré par mon support d'écriture, il s'était avancé jusqu'à moi et abaissé jusqu'à portée de bras. Mais quand je tendis la main vers lui, le nuage s'éleva de manière à demeurer proprement intouchable.

    Dans l'intervalle, les lettres et les mots qui roulaient sur ma manche, s'égouttèrent sur les pages de mon calepin, y prenaient place et forme, sans véritable ordonnance, que, semblait-il, l'urgence de s'inscrire. Bien que cela n'ait aucun sens logique, ça n'en était pas moins savoureux! ça memplissait les yeux ; ça disait tout à trac :

     

    Quand tu es loin de moi

    Nin nin nin nin nin ance

    Moi je pense à tou-a

    Et nin nin je dan-ance / J’f’rai de toi ma cess’princ’, tu s’ras jamais morose / Mélangez bien le tout avec un touille-cracra / J’ai eu vent de la liaison que vous entretenez depuis quelques mois avec mon épouse et je vous sais gré de déployer une telle énergie et un zèle si remarquable pour satisfaire à ses envies les plus folles / Te retourne pas, mais je crois qu’elle nous regarde, la dame bizarre de tout à l’heure.

    Je ne sais pas si la voie lactée

    Sera plus belle vue du septième ciel

     

    "- Ecoutez Madame, si ça ne vous tracasse pas que votre fille raconte que vous êtes morte, tant mieux, mais nous on se fait du souci." / Lila était au tableau quand ils étaient arrivés. La maîtresse l’avait poussée sous son bureau et l’avait cachée. Elle n’avait rien vu, tout entendu. Quand le calme était revenu elle avait hurlé tellement longtemps qu’elle ne se souvenait plus s’être arrêtée / « Papa, pourquoi t’as une zézette sur ton bureau ? » /

    Heurts divers /

    Que va donc devenir mon regard amoureux

    S’il n’a plus le plaisir de plonger dans tes yeux

    Quand j’écris rien je l’écris gros

     

    Je fus soudain saisi d'une vive inquiétude. Qu'allait-il advenir de cette logorrhée une fois les pages de mon calepin remplies ?

    Je tournai les talons et filai droit vers ma mansarde. Mon sous-marin sous les toits, mon écritoire, ma planque irresistible se trouvait à deux pas de là. J'y avais encore un bon lot de cahiers vierges quelque part sous les cahiers pleins, les bouquins, les classeurs, les revues, les albums, les ramettes, les bibelots et les boîtes entourant l'unique mobilier de l'endroit, mon poste multimédia.

    Tenant devant moi le calepin ouvert, je pressai le pas.

    Le petit nuage me devançait - se pouvait-il qu'il sache où je me rendais ? Peut-être lui était-ce tout simplement plus commode, pour continuer son manège. A l'entrée de la petite pension où je louais mon isoloir, le nuage fila le long du mur vers la toiture. Quand j'ouvris le vasistas, il était là, entra, mais ne pleuvait plus.

    Sur l'écran de mon ordi, un clignotant m'avertissait de l'arrivée d'un "nouveau message". J'hésitai deux secondes, puis me décidai à le consulter... y trouverais-je l'apocalypse ?

    Un familier n'eût pas agi autrement : le petit nuage se plaça au-dessus de mon épaule, comme pour lire à l'écran le message qui s'y affichait.

     

    Cher monsieur Tiniak (tiniak ?),

    Nous nous sommes croisés plusieurs fois chez les Impromptus, sans jamais vraiment nous adresser la parole. Cependant, ayant remarqué dans vos textes de nombreuses correspondances avec les miens, je me suis permise de vous utiliser, escomptant que vous seriez sensible à ma situation critique.

    Je suis en effet contrainte de déménager, contre mon gré, et de rendre l'ordinateur mobile dont j'avais l'usage à l'un de mes voisins qui me l'avait prêté. Ne sachant comment faire pour sauvegarder mes textes et tags, c'est naturellement que je me suis tournée vers votre esprit littéraire, dont j'avais perçu, à travers vos écrits (textes ou commentaires) le goût prononcé pour la fantasmagorie surréaliste.

    Etant un peu sorcière (mais, ça 'faut pas trop le dire), je vous ai envoyé le petit nuage qui doit maintenant se trouver près de vous.

    Merci de lui permettre d'achever sa tâche... d'encre.

    Soyez encore pour quelques temps, je vous en prie, mon ancre.

    Je vous promets de venir bien vite récupérer mes scribouilles, sitôt que j'aurai recouvré une situation plus confortable. Et puis, si ce n'était abuser de votre bonté... pourriez-vous m'indiquer où je puis m'équiper à moindre frais d'un nouveau poste ordinateur (mobile ou fixe, peu m'importe) ? Peut-être pourriez-vous m'en prêter un vous-même ?

    Merci de me confirmer avoir lu ce message et me donner tout avis pouvant contribuer au sauvetage de mon oeuvre.

     

    Bien amicalement,

    P*p*ne.

     

    Adieu baguette!

    J'attendrai ici que l'oeuvre salvatrice soit accomplie. Et puis, l'affaire faite, j'irai prendre un déjeuner complet dans le hall des Impromptus.

     

    Dehors, la bruine était devenue pluie. Sur l'avenue en contrebas s'animait à nouveau, ses glissement des véhicules, ses pas pressés, ses cris des gens au feu qu'on brûle, une journée.

     

    tiniak ©2008 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK

    'poesie melodie', ossiane
    illustration : ossiane
  • 7 jours

    LE SEIGNEUR DES ANNEAUX DEJEUNE EN VILLE

    - impromptu -

     

    Le premier jour, il vint s’asseoir au guéridon situé près de la fenêtre à l’angle de la salle de restauration. Il passa sa commande (entrée, plat du chef et fromage, pas de dessert) et déjeuna en prenant des notes sur un large carnet. Il but un quart de rouge avec son fromage, paya et sortit sans mot dire, que les formules d’usage – ou quelque chose d’approchant à laquelle je ne prêtai pas attention, en fait. En débarrassant son couvert, je remarquai un croissant de lune saillant sous la courbe d’un feuillage, le tout griffonné sur un coin de nappe ; à la hâte, mais avec talent.

     

    La deuxième fois, peut-être deux ou trois jours après, il revint, prit place au même endroit, passa la même commande et ne fut pas plus loquace.

    C’est Martine qui officiait dans cette partie de la salle, ce jour-là. Elle revint en cuisine et m’apostropha en ces termes :

    «  Dis, t’as vu ce qu’a laissé le type du fond dans l’écuelle à pourboires ? »

    J’allais répondre par la négative, mais elle brandissait sous mon nez une broche en or représentant deux éclairs croisés. Elle ajouta :

    « Et il l’a déposée en la piquant dans un billet de cinq. Il a fait cela en me faisant un clin d’œil. Pas un truc salasse, tu vois, plutôt espiègle, genre. » Martine épingla la broche à son giron et retourna en minaudant vaquer à ses affaires.

     

    La fois d’après fut le lendemain de sa seconde visite au Neptune. J’étais à son service cette fois. On était, je crois, un vendredi, il y avait du poisson – qu’il consomma. Comme il avait souhaité prendre un apéritif, j’ai tenté de le sonder un peu.

    « Vous travaillez peut-être dans le quartier, monsieur ? L’endroit vous plaît-il ? »

    Il marqua un court temps d’arrêt avant de déclarer avec un geste ample :

    «  Tout cela est bel et bon. » Il avait ponctué cette sentence d’un double tressautement de ces sourcils vers le haut de son front. Avec, oui, Martine avait vu juste, un rien d’espièglerie bonhomme. Je n’insistai pas.

    Plus tard, tandis qu’il grignotait son assiette de fromages, j’observai qu’il tira de sa poche un demi-coquillage, une coquille St Jacques. Il s’en servit comme d’un gabarit pour commencer son petit manège sur le coin de la nappe. Cette fois, ce fut une sorte de naïade auréolée qu’il avait dessinée.

     

    On ne le revit pas du week-end, ni du lundi suivant, mais il reparut le mardi. Ce jour-là, tout le monde avait les yeux rivés sur le poste télé à cause des inquiétantes nouvelles relatives à la recrudescence d’attentats terroristes sur le sol français. Presque je l’aurais oublié.

    Il ne s’offusqua pas du retard pris et procéda comme à son habitude. Dans l’écuelle à pourboires, il coinça un nouveau billet de cinq entre deux barres de « Mars » ! Il commençait à me plaire avec ses énigmes, le bougre.

    « Satisfait, monsieur ? » lui lançai-je alors qu’il atteignait le tourniquet.

    « Tout cela est bel et bon, oui. » Fit-il en réitérant son clin d’œil filou.

     

    Le lendemain, la chose tourna au surréalisme : il laissa, dans sa boîte alu, un vieux thermomètre enroulé dans son billet de cinq !

     

    Il se fit encore attendre jusqu’à ce samedi, où il entra dans le restaurant, un anneau en plastique dans chaque main. Oui, Monsieur le Commissaire ! Il se plaça au centre de la salle et fit voleter les anneaux vers le globe terrestre qui trônait sur le manteau de cheminée. Les anneaux s’y entourèrent l’un après l’autre, comme à la foire, devant un public médusé. Puis il dit avec autorité :

    «  Mesdames et messieurs, puisque j’ai toute votre attention, je vous demanderai de bien vouloir plonger rapidement à terre et si possible à l’abri des tables. »

    Les gens demeuraient figés, interdits.

    L’homme claqua des mains en intimant plus vivement son ordre :

    « Vite ! » Et il remonta sur ses oreilles, le col de son par-dessus.

    Comme mus par un réflexe d’écoliers obéissants, toute la salle s’exécuta, y compris le personnel de service, mais à l’exception des cuisiniers exemptés de la scène.

    Presque dans la seconde qui suivit, une formidable déflagration retentit faisant voler les vitres en éclats qui cliquetèrent autour de nous, tandis que du dehors pénétrait un nuage de poussières et de débris.

    Alors que nous étions encore tous abasourdis par l’événement, l’homme qui était resté debout, s’époussetait au milieu du désastre.

    Il s’inquiéta :

    «  Personne n’est blessé, au moins ? Tout le monde va bien ? »

    Comme peu à peu chacun émergeait de sous son abri de fortune, il ajouta :

    « Oui, en vérité, je vous le dis : tout cela et bel et bon. »

    Puis me faisant signe du doigt, il s’enquit avec le même calme :

    «  Dîtes-moi, vous n’êtes pas ouverts demain, n’est-ce pas ? »

    Je lui répondis que si, mais seulement à midi.

    «  Oui, dit-il tout sourire, pour moi aussi c’est relâche. Demain, c’est dimanche, pardi ! »

     

    Je ne l’ai pas revu depuis.

    guéridon

    [Les Impromptus Littéraires - tiki#3]
    tiniak (norbert tiniak) © 2008 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK