Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Un roman d'égarement

autorail JOUEFLe train avait stoppé en pleine voie. Alentour s'étendait ce qui me parut résumer la quintessence du paysage normand : du brun, du gris, du vert et des variations de lumière à rendre fou un œil artiste. Dans le compartiment, nous étions trois. Nous avions d'abord échangé quelques propos convenus sur la pénibilité des aléas récurrents que nous inflige le transport ferroviaire - en particulier sur cette ligne que nous baptisâmes La Maudite, avec cette unanimité placidement ronchonnante qui vous ravigote le sentiment d'être entre gens "bien de chez nous". Comme nous approchions, à dix minutes près, la première heure d'arrêt complet, sans explication autre que nos seules supputations, il nous devenait difficile de rester tout à fait sereins.
Côté fenêtre, dans le sens de la marche, la Ptite Dame aux chevilles lourdes serrait nerveusement contre son sein une serviette au cuir fatigué. Elle éprouvait quelque gène respiratoire. Face à elle, le Rougeaud local, dans sa splendeur ventripotente et sentant fort l'alcoolémie, balançait entre sortir se joindre aux allées et venues des voyageurs dans le couloir ou piquer benoîtement du nez sur son menton... andouille ? Me tenant deux places à sa droite, pas loin d'opter pour l'autre banquette - comme si me mettre dans ce sens pût agir de quelque manière sur la remise en mouvement du convoi ! je me satisfaisais plutôt de la fin de nos bavardages. Et puis, d’un brusque bond sur ses jambons, le Rougeaud se leva déclarant :
- Ah, ça ! Bon, je vais voir c'qui s'passe.
Comme si...
La Ptite Dame et moi nous adressâmes mutuellement un haussement de sourcils désabusés, avant de retourner chacun à ses songes soucieux, dans un discret soupir. Le silence semblait lui convenir, à elle aussi; tant mieux.

Le silence...
Nous y étions si bien installés qu'il nous fallut quelque temps avant de nous rendre compte qu'il était devenu presque total - n'était le piaillement des oiseaux dans les arbres voisins. Ce fut un pas trainant dans le couloir qui  nous en donna la mesure. Sur le point d'enjoindre ma muette compagnie de continuer à faire la morte, tandis que je me proposais d’aller à mon tour au-devant du mystère, un agent de la société des chemins de fer ouvrit alors grand la porte de notre compartiment. Il dit :
- Ah, 'faut pas rester là, msieudame; le train va pas repartir de si tôt, vous savez.
- Précisément, nous n'en savons rien, objectai-je avec un bon peu d'aigreur dans la politesse.
- Mais non, rien du tout, renchérit la Ptite Dame que cette sortie vibrante révélait au bord du point de rupture.
- Eh, est-c' que j'sais, moi ! bougonna l'homme en tenue idoine. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'y a pu d'gare. Ni devant, ni derrière, nada ! Et c'est comme ça sur  tout l’réseau, alors... Y a pas : 'faut finir à pied... 'pouvez pas rester là, je suis venu tout boucler.
Profitant de notre stupeur, il ajouta :
- Prenez juste c'qu'i' faut, on fera le nécessaire pour le reste.

Et nous voici, la Ptite Dame et moi, devisant à travers champs. Elle me raconte son histoire : un roman !
Moi, je crains que l'on ne s'égare... vraiment.

 

impromptu littéraire,prose,rail,roman,d'égarement 

tiniak © 2011 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK
pour un Impromptu Littéraire - tiki#124

Commentaires

  • Si tu n'avais pas dit qu'on était en Normandie, je me serais cru en Belgique dans un truc intitulé "Le quotidien du navetteur" ;o)

  • 'faut dire que, de la Normandie jusqu'à la Basse Saxe...
    Note que j'avais hésité à situer aussi précisément cette saynète; le ton des personnages m'y a peut-être poussé...

    "Eh, est-c'que j'sais..." ;))

    Merci de ton passage, Goo goo g'joob!

Les commentaires sont fermés.