Une poule entre dans le bar. C'est sûr, il se fait tard. Un peu à contre-coeur, je vide mon fond de blanc, tenant son pied entre le majeur et l'annulaire, fais claquer le verre sur le zinc et lâche une revoyure à la cantonnade qui me renvoie un joyeux brouhaha. Pas que je sois un assidu, mais c'est le bar d'en bas de chez moi, j'y fais des haltes - parfois des haltes prolongées, oui. Il y a là des habitués, bien sûr, et des voisins et leurs voisines. Mais l'heure des poules a sonné. J'y vais!
Ne pas se laisser tenter par un clope sur le trottoir-fumoir, c'est des coups à en remettre un coup. Deux trois paluches encore - il y a des liens qui s'entretiennent, quoi. La ficelle, ça peut toujours servir. Et allez, je déroule un pas chaloupé, satisfait, celui du gars qui a fini son boulot, même un peu plus tôt et qui regagne le flot vers son petit lot, après une escale amicale. Les petites sont chez leur grand-mère, 'faut dire. Un bail qu'on ne s'était pas retrouvés entre nous, les époux. L'oeil un rien coquin, ce matin et le bécot humide de ma chèr&tendre avant de partir m'ont fait languir. Deux jours devant nous, rien qu'à nous. Pas mieux.
J'ouvre la porte d'entrée, j'allais appeler, quand je vois sur le paillasson la paire de bottes à lacets délacés de ma dulcinée. Les talons serrés, les fourreaux bâillant de chaque côté, les lacets comme des moustaches d'écrevisse étalés sur le pavé, ce sont les bottes que je lui ai offert, il y a de ça, pouh! Et deux pas plus loin, vers l'escalier des collants pris dans des soquettes mouillées. Je reviens sur les bottes. Un assaut de la mémoire m'envahit. Je crois voir les bottes se remplir de chevilles, de mollets, de cuisses écartées sous la croupe révulsée... C'est déjà fini, mais ça m'a mis l'eau à la bouche. Je quitte mes chaussures et envoie dinguer mes chaussettes sur le piano droit.
Pas de culotte dans les collants, mais sur les marches, ou plutôt sur le petit pallier après les trois premières marches, le pantalon large a des airs de lunettes écrasées. C'est le pantalon d'été! On est en plein hiver... Y a pas, ça va chauffer!! Comme cette fois dans la forêt, en pleine canicule. Il avait suffit d'un tronc incliné. A peine un doigté, un long baiser à pleine bouche, on avait fondu l'un dans l'autre. Du beurre. La forêt même était en sueur.
Ah ben voilà, la veste. Ah, d'accord : ma veste. Celle que je ne mets plus depuis, pouh! Ou alors seulement par grand vent quand il faut monter sur le toit voir les tuiles. Devant la chambre des petites, pull et chemise - chemise dans pull, ça défrise. Je suis au bord de la crise. Je sens la mer... La Manche! Ma veste sur ses épaules et son pull en jupon improvisé, parce que quand même, le sable... Je revois son cartable ouvert, les copies qu'il avait fallu rattraper dans les dunes. Jusqu'à la dune qui sera notre dune, près de Langrune. Toujours, même si maintenant s'y dresse un lotissement. Je défais la boucle de mon ceinturon. J'ôte un bouton de braguette, le coeur en fête.
Dans notre couloir, ni sous-taf, ni culotte ; si ça me botte ?!
Dans la chambre, personne. Sur le lit, personne. Un mot, dans une enveloppe : salope!
!niak niak!